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mis. Si l’on ne voyait ses discours publics que de loin, on n’en découvrirait pas l’accord avec ce fond de pensée, on n’y sentirait pas les intentions secrètes et, pour ainsi dire, les nuances d’accent qu’il y glissait, que le maître saisissait toujours, et dont il s’irrita plus d’une fois ; on serait injuste envers Fontanes, comme l’ont été à plaisir plusieurs de ses contemporains, qui, serviteurs aussi de l’Empire, n’ont jamais su l’être aussi décemment que lui[1].

Pour nous, qui n’avons jamais eu affaire aux rois ni aux empereurs de ce monde, mais qui avons eu maintes fois à nous prononcer devant ces autres rois, non moins ombrageux, ou ces prétendants de la littérature, nous qui savons combien souvent, sous notre plume, la louange apparente n’a été qu’un conseil assaisonné, nous entrerons de près dans la pensée de M. de Fontanes, et, d’après les renseignements les plus précis, les plus divers et les mieux comparés, nous tâcherons de faire ressortir, à travers les vicissitudes, l’esprit d’une conduite toujours honorable, de marquer, sous l’adresse du langage, les intentions d’un cœur toujours généreux et bon.

M. de Fontanes fut président du Corps législatif depuis le commencement de 1804 jusqu’au commencement de 1810 ; en tout, six fois porté par ses collègues, six fois nommé par Napoléon ; mais, comme tel, il cessa de plaire dès 1808, et son changement fut décidé. Déjà, tout au début, la mort du duc d’Enghien avait amené une première et violente crise. Le 21 mars 1804, de grand matin, Bonaparte le fit appeler, et, le mettant sur le chapitre du duc d’Enghien, lui apprit brusquement l’événement de la nuit. Fontanes ne contint pas son effroi, son indignation. « Il s’agit bien de cela ! lui dit le Consul : Fourcroy va clore après-demain le Corps

  1. Ils ont été odieux sous le couvert d’autrui, et avec tout le fiel de la haine, dans l’histoire dite de l’abbé de Montgaillard : on ne craint pas d’indiquer de telles injures, que détruit l’excès même du venin et que leur grossièreté flétrit.