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les deux petites lettres de Racine contre Port-Royal : et Racine a de plus contre lui ce que M. de Fontanes n’a pas, l’ingratitude.

Dès la fin de son premier extrait sur le livre de madame de Staël, Fontanes y opposait et citait quelques fragments du Génie du Christianisme, non encore publiés, et que son ami lui avait adressés de Londres. M. de Chateaubriand arrivait lui-même en France au mois de mai 1800, et s’apprêta à publier. Fontanes, dont les conseils retardèrent l’apparition de tout l’ouvrage et déterminèrent le courageux auteur à une entière retouche[1], soutint de son présage heureux l’avant-courrière Atala[2] ; il appuya surtout, par deux extraits[3], le Génie du Christianisme qui se lançait enfin : son suffrage frappait juste plutôt que fort, comme il convient à un ami. La critique, en une main habile et puissante, à ce moment décisif de la sortie, est comme ce dieu Portunus des anciens, qui poussait le vaisseau hors du port :

 Et pater ipse manu magna Portunus euntem
 Impulit....


On a relu depuis longtemps les articles de Fontanes, recueillis à la suite du Génie du Christianisme : pareils encore à ces barques de pilote, qui, après avoir guidé le grand vaisseau à la sortie périlleuse, sont ensuite reprises à son bord et traversent par lui l’Océan.

Je trouve quelques renseignements bien précis sur ce moment littéraire décisif où parut le Génie du Christianisme. L’attention publique était grandement éveillée par les fragments donnés au Mercure, puis, en dernier lieu, par Atala.

  1. Un jour, dans une des discussions vives qui décidèrent de la refonte du Génie du Christianisme, Fontanes dit à Chateaubriand une de ces paroles qui sifflent et volent au but comme une flèche : « Vous pouvez vous mettre à la tête du siècle qui se lève, et vous vous traîneriez à la queue du siècle qui s’en va ! »
  2. Mercure, germinal an IX.
  3. Mercure, germinal et fructidor an X.