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qui on en voulait. Il put obtenir d’être relâché avant qu’on insistât sur son nom. Il quitta Paris et passa le reste de la Terreur caché à Sevran, près de Livry, chez madame Dufrenoy, et aussi aux Andelys, qu’il revit alors, comme nous l’attestent les vers touchants, et un peu faibles, de son Vieux Château.

Dans ce petit poëme et dans quelques autres pièces qui le suivent en date, comme les Pyrénées, le style de M. de Fontanes, il faut le dire, se détend sensiblement, ne se tient plus à cette ferme hauteur qu’avait marquée l’Essai sur l’Astronomie. La facilité fâcheuse du xviiie siècle l’emporte. Chaque manière (même la bonne, la meilleure, si l’on veut) est voisine d’un défaut. Quand les poëtes de l’époque classique n’y prennent pas garde, ils deviennent aisément prosaïques et languissants, comme les autres de l’école contraire tendent très-vite, s’ils ne se soignent, au boursouflé, au bigarré, ou à l’obscur. L’Art poétique de Boileau, bien autrement poétique par l’exécution que par les préceptes ; les préceptes et la pratique courante de Voltaire, à force de soumettre la poésie à la même raison que la prose et au pur bon sens, allaient à remplacer l’inspiration et l’expression poétique par ce qui n’en doit être que la garantie et la limite. On s’est jeté aujourd’hui dans un excès tout contraire, et l’image tient le dé du style poétique, comme c’était la raison précédemment. Mais ni la raison, à proprement parler, ni l’image, en ceci, ne doivent régir. L’expression en poésie doit être incessamment produite par l’idée actuelle, soumise à l’harmonie de l’ensemble, par le sentiment ému, s’animant, au besoin, de l’image, du son, du mouvement, s’aidant de l’abstrait même, de tout ce qui lui va, se créant, en un mot, à tout instant sa forme propre et vive, ce que ne fait pas la pure raison. Mais, cela dit, et même dans ce poëme du Vieux Château, où le style de Fontanes est si peu ce que le style poétique devrait être toujours, une création continue ; même là, de douces notes se font entendre ; ces négligences, ces répétitions d’aimé,