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ne désignait guère Jésus-Christ que comme le Législateur des chrétiens. Ici, ce mode d’inspiration, plus acceptable chez un poëte, cette onction sans grande foi, et pourtant sincère, s’exhale à chaque vers, mais elle se déclare surtout admirablement dans le beau morceau de la pièce au moment de l’élévation pendant le sacrifice :

Ô moment solennel ! ce peuple prosterné,
Ce temple dont la mousse a couvert les portiques,
Ses vieux murs, son jour sombre, et ses vitraux gothiques ;
Cette lampe d’airain, qui, dans l’antiquité,
Symbole du soleil et de l’éternité,
Luit devant le Très-Haut, jour et nuit suspendue ;
La majesté d’un Dieu parmi nous descendue ;
Les pleurs, les vœux, l’encens, qui montent vers l’autel,
Et de jeunes beautés, qui, sous l’œil maternel,
Adoucissent encor par leur voix innocente
De la religion la pompe attendrissante ;
Cet orgue qui se tait, ce silence pieux,
L’invisible union de la terre et des cieux,
Tout enflamme, agrandit, émeut l’homme sensible ;
Il croit avoir franchi ce monde inaccessible,
Où, sur des harpes d’or, l’immortel séraphin
Aux pieds de Jéhovah chante l’hymne sans fin.
C’est alors que sans peine un Dieu se fait entendre :
Il se cache au savant, se révèle au cœur tendre ;
Il doit moins se prouver qu’il ne doit se sentir.

Il y avait longtemps à cette date que la poésie française n’avait modulé de tels soupirs religieux. Jusqu’à Racine, je ne vois guère, en remontant, que ce grand élan de Lusignan dans Zaïre. M. de Fontanes essayait, avec discrétion et nouveauté, dans la poésie, de faire écho aux accents épurés de Bernardin de Saint-Pierre, ou à ceux de Jean-Jacques aux rares moments où Jean-Jacques s’humilie. Son grand tort est de s’être distrait sitôt, d’avoir récidivé si peu.

Dans le Jour des Morts, il s’était souvenu de Gray et de son Cimetière de Campagne ; il se rapproche encore du mélan-