Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heure de jeunesse première, il semblait plus sobre, plus modéré en hardiesse que ce maître brillant. On remarquait, à travers les exclamations descriptives d’usage, bien des vers heureux et simples, de ces vers trouvés, qui peignent sans effort :

Le poëte aime l’ombre, il ressemble au berger....
L’oiseau se fait, perché sur le rameau qui dort....
Foulant de hauts gazons respectés du faucheur....
Ils ne sont plus ces jours où chaque arbre divin
Enfermait sa Dryade et son jeune Sylvain,
Qui versaient en silence à la tige altérée
La séve à longs replis sous l’écorce égarée.

Il n’y avait pas abus de coupes, quelques-unes pourtant assez neuves, quelques jets un peu libres, que plus tard son ciseau, en y revenant, supprima :

Quel calme universel ! je marche : l’ombre immense,
L’ombre de ces ormeaux dont les bras étendus
Se courbent sur ma tête en voûtes suspendus,
S’entasse à chaque pas, s’élargit, se prolonge,
Croît toujours ; et mon cœur dans l’extase se plonge.

Enfin, quelque chose de senti inspirait le tout.

Garat, rendant compte de l’Almanach des Muses dans le Mercure (avril 1780), s’arrêta longuement sur le poëme de Fontanes, et le critiqua avec une sévérité indirecte et masquée, qui put sembler piquante dans les habitudes du temps. Il fait bien ressortir l’absence de plan, les contradictions entre l’appareil didactique et certaines formes convenues d’enthousiasme : Que de tableaux divers !… À pas lents je m’égare. Oui, à pas lents. Mais il ne va pas au fond. Quand il en vient au style, il frappe encore plus au hasard et souligne quelques-uns des vers que nous citions précisément à titre de beauté. Fontanes fut très-sensible à l’article de Garat, et faillit en être découragé à cette entrée dans la carrière. La plus sûre preuve de l’impression profonde qu’il en reçut, c’est que