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d’entrain chevaleresque ; les lettres à madame d’Hénin, écrites avec de la suie et un cure-dent, sont légères comme au bon temps, sémillantes, puis tout d’un coup attendries. Emprisonné, odieusement réduit à toutes les privations, parce que son existence est déclarée incompatible avec la sûreté des Gouvernements, La Fayette ne cesse un seul instant d’être à la hauteur de sa cause. Quand on lui fait d’abord demander quelques conseils sur l’état des choses en France, il se contente de répondre que le roi de Prusse est bien impertinent. Les mauvais traitements viennent, et le martyre se prolonge, se raffine : « Comme ces mauvais traitements, dit-il, n’effleurent pas ma sensibilité et flattent mon amour-propre, il m’est facile de rester à ma place et de sourire de bien haut à leurs procédés comme à leurs passions. » Il ajoute en plaisantant : « Quoiqu’on m’ait ôté avec une singulière affectation quelques-uns des moyens de me tuer, je ne compte pas profiter de ceux qui me restent, et je défendrai ma propre constitution aussi constamment, mais vraisemblablement avec aussi peu de succès que la constitution nationale. » Il répond encore à ceux qui lui enlèvent couteaux et fourchettes, qu’il n’est pas assez prévenant pour se tuer. En arrivant à Olmütz, on lui confisque quelques livres que les Prussiens lui avaient laissés, notamment le livre de l’Esprit et celui du Sens commun ; sur quoi La Fayette demande poliment si le Gouvernement les regarde comme de contrebande. Il exige de ses amis du dehors qu’on ne parle jamais pour lui, dans quelque occasion et pour quelque intérêt que ce soit, que d’une manière conforme à son caractère et à ses principes, et il ne craint pas de pousser jusqu’à l’excès ce que madame de Tessé appelle la faiblesse d’une grande passion. L’héroïsme domestique, l’attendrissement de famille, mais un attendrissement toujours contenu par le sentiment d’un grand devoir, pénètre dans la prison avec madame de La Fayette. Cette noble personne écrit, à son tour, à madame d’Hénin : « Je suis charmée que vous soyez contente de ma correspondance avec la cour (de Vienne),