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elles feront aisément partager à tout lecteur quelque chose de l’émotion qui les dicta.


II

Ce fut une brillante époque dans la vie de La Fayette que les années qui s’écoulèrent depuis la fin de la guerre d’Amérique jusqu’à l’ouverture des États-généraux. Jeune et célèbre, déjà plein d’actions, chevaleresque parrain de treize républiques, il parcourait et étudiait l’Europe, les cours absolues, assistait aux revues et aux soupers du grand Frédéric, et, de retour en France, par ses liaisons, par ses propos, par son attitude à l’Assemblée des notables, poussait hardiment à des réformes, dont le seul mot, étonnement de la cour, électrisait le public, et que rien ne compromettait encore. Pourtant cet intervalle de jouissance, de repos et de préparation, eut son terme, et La Fayette, à ses risques et périls dut rentrer dans la pratique active des révolutions. Il est âgé de trente-deux ans en 89. Tout ce qui précède n’a été qu’un prélude ; le plus sérieux et le plus mûr commence ; la gloire, jusque-là si pure et incontestée, du jeune général va subir de terribles épreuves. Il s’agit, en effet, de la France et d’une vieille monarchie, d’une cour à laquelle La Fayette est lié par sa naissance, par des devoirs ou du moins par des égards obligés. De toutes parts il s’agit pour lui de garder une difficile et presque impossible mesure, d’être républicain sans abjurer tout à fait son respect au trône, d’être du peuple sans insulter chez les autres ni en lui le gentilhomme. Or, La Fayette, dans une telle complication que chaque pensée aisément achève, s’engagea sans hésiter, tout en droiture et comme naturellement. Si on le prend à l’entrée et à l’issue, on trouve