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interrompre ni à laisser oublier la communication de l’un à l’autre.

D’ensemble, on peut considérer La Fayette comme le plus précoce, le plus intrépide et le plus honnête assaillant à la prise d’assaut de l’ancien régime, dès les débuts de 89. Toujours pourtant quelque chose du chevalier et du galant adversaire, soit qu’il s’élance à la brèche en 89 l’épée en main, soit qu’il reparaisse comme le porte-étendard général de la Révolution en 1830. Un très-spirituel écrivain, M. Saint-Marc Girardin, en louant La Fayette dans les Débats (preuve qu’il est bien mort), a conjecturé que, s’il avait vécu au moyen âge, il aurait fondé quelque ordre religieux avec la puissance d’une idée morale fixe. Je crois que La Fayette, au moyen âge, aurait été ce qu’il fut de nos jours, un chevalier, cherchant encore à sa manière le triomphe des droits de l’homme sous prétexte du Saint-Graal, ou bien un croisé en quête du saint tombeau, le bras droit et le premier aide de camp, sous un Pierre-l’Ermite, c’est-à-dire sous la voix de Dieu, d’une des grandes croisades.

Cette sorte de vocation chevaleresque du héros républicain, de l’Américain de Versailles, apparaît tout d’abord dans les volumes de Mémoires et de Correspondance publiés. C’est en rendant compte de ces volumes précieux, recueillis avec la plus scrupuleuse piété d’une famille pour une vénérable mémoire, qu’il nous sera aisé de suivre et de faire sentir les lignes principales, les traits composants d’un caractère toujours divers, si simple qu’il soit et si uniforme qu’il paraisse. Le premier volume et la moitié du second contiennent tous les faits de la vie de La Fayette antérieure à 89, la guerre d’Amérique, ses voyages en Europe au retour ; tantôt ce sont des récits et des chapitres de mémoires de sa main, tantôt ce sont des correspondances qui y suppléent et les continuent. Cette portion du livre est très-intéressante et neuve, d’une lecture plus continue et plus coulante que l’intervalle, d’ailleurs plus connu, de 89 à 92, dans lequel on ne marche qu’à