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ne suivrons pas Bernardin dans les vingt dernières années de sa vie ; il ne mourut qu’en janvier 1814. Il en est un peu de la critique comme de la nature, qui (n’en déplaise à l’optimisme de son interprète), quand elle a obtenu des êtres leur œuvre de jeunesse et de reproduction, les abandonne ensuite à eux-mêmes et les laisse achever comme ils peuvent, tandis que jusque-là elle les soignait avec prédilection, les entourait de caresses et d’attraits. La critique de même, quand elle a obtenu, de l’auteur qu’elle étudie, l’œuvre principale et durable qu’il devait enfanter, peut le négliger sans inconvénient dans le détail du reste de sa vie ; il lui suffit de terminer envers lui par quelques hommages de reconnaissance ; mais les attentions suivies et exactes, indispensables au commencement, sont désormais superflues et deviendraient aisément fastidieuses. Il nous serait doux pourtant, il serait pieux d’accompagner encore Bernardin de Saint-Pierre lentement occupé de ses Harmonies, de le suivre un peu à Essonne, à Éragny, dans son ermitage, et de tirer de ses lettres et de ses derniers écrits assez de rayons pour lui composer un soir d’idylle, le soir d’un beau jour, si son biographe ne nous avait devancé dans cette tâche heureuse. Nous aurions toujours eu à regretter d’ailleurs quelques traits discordants qu’il eût fallu admettre au tableau, son attitude maussade au sein de l’Institut, son opiniâtreté contentieuse dans d’insoutenables systèmes, et plus de louanges de notre grand Empereur que nous n’en aimerions. Dans la correspondance avec Ducis, qui forme un des endroits les plus récréants de ce déclin, le bonhomme tragique nous apparaît bien supérieur à son ami, par un génie franc, cordial, une grande âme débonnaire, et une ima-

    tion française) que, sous le coup du 10 août, M. Terrier de Montciel, précédemment ministre de l’intérieur, s’était réfugié au Jardin-des-Plantes chez Bernardin de Saint-Pierre, qu’il y avait fait nommer, mais qu’il y resta peu de temps, ayant été assez mal accueilli par son protégé, qui craignait de se compromettre. Il n’y a rien là malheureusement que de trop vraisemblable.