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subitement à la vertu : tels Grimoald et Arsinoé. Les hommes de Corneille ont l’esprit formaliste et pointilleux : ils se querellent sur l’étiquette ; ils raisonnent longuement et ergotent à haute voix avec eux-mêmes jusque dans leur passion. Il y a du Normand. Auguste, Pompée et autres ont dû étudier la dialectique à Salamanque, et lire Aristote d’après les Arabes. Ses héroïnes, ses adorables furies, se ressemblent presque toutes : leur amour est subtil, combiné, alambiqué, et sort plus de la tête que du cœur. On sent que Corneille connaissait peu les femmes. Il a pourtant réussi à exprimer dans Chimène et dans Pauline cette vertueuse puissance de sacrifice, que lui-même avait pratiquée en sa jeunesse. Chose singulière ! depuis sa rentrée au théâtre en 1659, et dans les pièces nombreuses de sa décadence, Attila, Bérénice, Pulchérie, Suréna, Corneille eut la manie de mêler l’amour à tout, comme La Fontaine Platon. Il semblait que les succès de Quinault et de Racine l’entraînassent sur ce terrain, et qu’il voulût en remontrer à ces doucereux, comme il les appelait. Il avait fini par se figurer qu’il avait été en son temps bien autrement galant et amoureux que ces jeunes perruques blondes, et il ne parlait d’autrefois qu’en hochant la tête comme un vieux berger.

Le style de Corneille est le mérite par où il excelle à mon gré. Voltaire, dans son commentaire, a montré sur ce point comme sur d’autres une souveraine injustice et une assez grande ignorance des vraies origines de notre langue. Il reproche à tout moment à son auteur de n’avoir ni grâce, ni élégance, ni clarté : il mesure, plume en main, la hauteur des métaphores, et quand elles dépassent, il les trouve gigantesques. Il retourne et déguise en prose ces phrases altières et sonores qui vont si bien à l’allure des héros, et il se demande si c’est là écrire et parler français. Il appelle grossièrement solécisme ce qu’il devrait qualifier d’idiotisme, et qui manque si complètement à la langue étroite, symétrique, écourtée, et à la française, du xviiie siècle. On se souvient des magnifiques