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à la découverte de l’imprimerie, si l’on excepte le Roman de la Rose, dont le souvenir s’était conservé, grâce à Marot, durant le xvie siècle, et qu’on lisait quelquefois ou que l’on citait du moins. L’imprimerie, en effet, fut employée dans l’origine à fixer et à répandre les textes des écrivains grecs et latins, bien plus qu’à exhumer les œuvres de nos vieux rimeurs. Personne parmi les doctes ne songeait à eux ; il arriva seulement que leurs successeurs profitèrent, depuis lors, du bénéfice général, et participèrent aux honneurs de l’impression. Marot, le premier, en disciple reconnaissant et respectueux, voulut sauver de l’oubli quelques-uns de ceux qu’il appelait ses maîtres : il restaura à grand’peine et publia Villon ; il donna une édition du Roman de la Rose, dont il rajeunit, comme il put, le style. Mais son érudition n’était pas profonde, même en pareille matière, et très-probablement il déchiffrait cette langue surannée avec moins de sagacité et de certitude que ne le font aujourd’hui nos habiles, M. Méon ou M. Robert par exemple. Ronsard et ses disciples vinrent alors, qui abjurèrent le culte des antiquités nationales et les laissèrent en partage aux érudits, aux Pasquier, aux La Croix du Maine, aux Du Verdier, aux Fauchet, dont les travaux, tout estimables qu’ils sont pour le temps, fourmillent d’erreurs et attestent une extrême inexpérience. L’école de Malherbe, par son dédain absolu pour le passé, n’était guère propre à réveiller le goût des curiosités gauloises, et on ne le retrouve un peu vif que chez Guillaume Colletet, Ménage, du Cange, Chapelain, La Monnoye, tous doctes de profession. Ce fut seulement au xviiie siècle que les fabliaux et les romans-manuscrits devinrent l’objet d’investigations et d’études sérieuses. Irons-nous donc, à l’exemple de certains critiques, ranger La Fontaine parmi ces deux ou trois antiquaires de son temps, et mettre le bonhomme tout juste entre Ménage et La Monnoye, lesquels, comme on sait, tournaient si galamment les vers grecs et les offraient aux dames en guise de madrigaux ?  Il y a dans un recueil manuscrit du xive siècle une fable du Renard et du Corbeau, et dans cette fable on lit ce vers :

Tenait en son bec un fourmage,
qui se retrouve tout entier chez La Fontaine. En faut-il conclure, avec plusieurs personnes de mérite consultées par M. Robert, que notre fabuliste a évidemment dérobé son vers à l’obscur Ysopet, et que, pour s’en donner l’honneur, il s’est bien gardé d’éventer le larcin ?  Ainsi,