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Musset, répondant à des vers non moins aimables du vieux maître[1], lui disait, à propos de cette fraîcheur et presque de cette renaissance du talent :

Si jamais ta tête qui penche
Devient blanche,
Ce sera comme l’amandier,
Cher Nodier.

Ce qui le blanchit n’est pas l’âge,
Ni l’orage ;
C’est la fraîche rosée en pleurs
Dans les fleurs.

Nous-même, nous n’avions pas attendu le jour fatal pour essayer de caractériser cette veine si abondante et si vive, cet esprit si souple et si coloré, ce merveilleux talent de nature et de fantaisie[2]. On ne trouvera pas que ce soit trop d’en rassembler encore une fois les traits si regrettables et plus que jamais présents à tous, en ce moment de mystère et de deuil où le moule se brise, où la forme visible s’évanouit.

Charles Nodier était né à Besançon, en avril 1780 ; il fit ses études dans sa ville natale, et, sauf quelques échappées à Paris, il passa sa première jeunesse dans sa province bien-aimée. Aussi peut-on dire qu’il resta Comtois toute sa vie ; au milieu de sa diction si pure et de sa limpide éloquence, il avait gardé de certains accents du pays qui marquaient par endroits, donnaient à l’originalité plus de saveur, et l’imprégnaient à la fois de bonhomie et de finesse. Sa jeunesse fut errante, poétique, et, on peut le dire, presque fabuleuse. Là-dessus les souvenirs des contemporains ne tarissent pas ; quand une fois le nom de Nodier est prononcé devant le bon Weiss (aujourd’hui inconsolable), devant quelqu’un de ces amis et de ces témoins d’autrefois, tout un passé s’ébranle et se réveille, les histoires, les aventures s’enchaînent et se

  1. Revue des Deux Mondes du 1er juillet et du 15 août 1843.
  2. Revue du 1er mai 1840 ; il s’agit de l’article précédent.