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ce qui compte y a passé, et l’on y doit passer à son tour : ce sont les voies sacrées qui mènent à la Ville éternelle, au rendez-vous universel de la gloire et de l’estime humaine. Nodier, si fait pour pratiquer ces voies et pour les suivre, et qui, jeune, en savait mieux que les noms, ne les hanta, pour ainsi parler, qu’à la traverse, et ne s’y enfonça à aucun moment en droiture. Je ne sais quelle fatalité de destinée ou quel tourbillon romanesque, du Peintre de Saltzbourg à Jean Sbogar, le jeta toujours par les précipices ou sur les lisières, à droite ou à gauche de ces grandes lignes où convergent en définitive les seules et vraies figures du poëme humain comme de l’histoire. Par un généreux mais décevant instinct, il s’en alla accoster d’emblée, en littérature comme en politique, ceux surtout qui étaient dehors et qui lui parurent immolés, Bonneville ou Granville, comme Oudet et Pichegru.

Et plus tard, tout à fait mûr et le plus ingénieux des sceptiques, ne voudra-t-il pas réhabiliter Cyrano ? il appellera Perrault un autre Homère.

Jeune, deux choses entre autres le sauvèrent et permirent qu’à la fin, arrivé à son tour, reposé ou du moins assis, et comptant devant lui les débris amassés, il se fît une richesse. Et d’abord, si sincère qu’il se montrât dans le transport d’expression de ses douleurs juvéniles, il était trop poëte pour que son imagination, à certains moments, ne les lui exagérât point beaucoup, et, à d’autres moments aussi, ne les vint pas distraire et presque guérir. Sa sensibilité, tempérée par la fantaisie, ne prenait pas le malheur dans un sérieux aussi continu que de loin on pourrait le croire. Et par exemple, en ce temps même du Peintre de Saltzbourg, il écrivait le dernier Chapitre de mon Roman, réminiscence très-égayée d’une génération légère qui avait eu, comme il l’a très-bien dit, Faublas pour Télémaque. J’aime peu à tous égards ce dernier Chapitre, si spirituel qu’il soit ; il rappelle trop son modèle par des côtés non-seulement scabreux, mais un peu