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l’aile pacifique des Ptolémées ; et là ils fleurirent, ils brillèrent aux yeux les uns des autres ; ils se composèrent en pléiade. Et qu’on ne dise pas qu’il n’en sortit rien que de maniéré et de faux ; le charmant Théocrite en était. À Rome, sous Auguste et ses successeurs, ce fut de même. Ovide avait à regretter, du fond de sa Scythie, bien des succès littéraires dont il était si vain, et auxquels il avait sacrifié peut-être les confidences indiscrètes d’où la disgrâce lui était venue. Stace, Silius, et ces mille et un[1] auteurs et poëtes de Rome dont on peut demander les noms à Juvénal, se nourrissaient de lectures, de réunions, et les tièdes atmosphères des soirées d’alors, qui soutenaient quelques talents timides en danger de mourir, en faisaient pulluler un bon nombre de médiocres qui n’aurait pas dû naître. Au Moyen-Age, les troubadours nous offrent tous les avantages et les inconvénients de ces petites sociétés directement organisées pour la poésie : éclat précoce, facile efflorescence, ivresse gracieuse, et puis débilité, monotonie et fadeur. En Italie, dès le xive siècle, sous Pétrarque et Boccace, et, plus tard, au xve, au xvie, les poëtes se réunirent encore dans des cercles à demi poétiques, à demi galants, et l’usage du sonnet, cet instrument si compliqué à la fois et si portatif, y devint habituel. Remarquons toutefois qu’au xive siècle, du temps de Pétrarque et de Boccace, à cette époque de grande et sérieuse renaissance, lorsqu’il s’agissait tout ensemble de retrouver l’antiquité et de fonder le moderne avenir littéraire, le but des rapprochements était haut, varié, le moyen indispensable, et le résultat heureux, tandis qu’au xvie siècle il n’était plus question que d’une flatteuse récréation du cœur et de l’esprit, propice sans doute encore au développement de certaines imaginations

  1. Cet article avait d’abord été écrit pour le Livre des Cent et Un. On y répondait indirectement et sans amertume à un article de la Camaraderie littéraire qui fit du bruit dans le temps, et que le très-spirituel auteur (M. de Latouche) me permettra de qualifier de partial et d’exagéré.