Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’aveu même de notre auteur, que cette première passion lui donna l’éveil et lui apprit à rimer. Il ne nous semble même pas impossible que quelque circonstance particulière de son aventure l’ait excité à composer Mélite, quoiqu’on ait peine à voir quel rôle il y pourrait jouer. L’objet de sa passion était, à ce qu’on rapporte, une demoiselle de Rouen, qui devint madame Du Pont en épousant un maître des comptes de cette ville. Parfaitement belle et spirituelle, connue de Corneille depuis l’enfance, il ne paraît pas qu’elle ait jamais répondu à son amour respectueux autrement que par une indulgente amitié. Elle recevait ses vers, lui en demandait quelquefois ; mais le génie croissant du poëte se contenait mal dans les madrigaux, les sonnets et les pièces galantes par lesquels il avait commencé. Il s’y trouvait en prison, et sentait que pour produire il avait besoin de la clef des champs. Cent vers lui coûtaient moins, disait-il, que deux mots de chanson. Le théâtre le tentait ; les conseils de sa dame contribuèrent sans doute à l’y encourager. Il fit Mélite, qu’il envoya au vieux dramaturge Hardy. Celui-ci la trouva une assez jolie farce, et le jeune avocat de vingt-trois ans partit de Rouen pour Paris, en 1629, pour assister au succès de sa pièce. Le fait principal de ces premières années de la vie de Corneille est sans contredit sa passion, et le caractère original de l’homme s’y révèle déjà. Simple, candide, embarrassé et timide en paroles ; assez gauche, mais fort sincère et respectueux en amour, Corneille adore une femme auprès de laquelle il échoue, et qui, après lui avoir donné quelque espoir, en épouse un autre. Il nous parle lui-même d’un malheur qui a rompu le cours de leurs affections ; mais le mauvais succès ne l’aigrit pas contre sa belle inhumaine, comme il l’appelle :

Je me trouve toujours en état de l’aimer ;
Je me sens tout ému quand je l’entends nommer ;