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nous apprend lui-même qu’il eut à le ramener d’une admiration un peu excessive pour Florian à des modèles plus sérieux et plus solides. Ses études terminées, le jeune homme songea à prendre un état ; il essaya du barreau et entra quelque temps dans une étude de procureur. Il sortit de là pour être commis libraire dans la maison Treuttel et Würtz, espérant concilier son goût d’étude avec ce commerce des livres. Le pastoral Gessner avait su faire ainsi. Mais, un jour que le jeune Millevoye était, au fond du magasin, absorbé dans une lecture, le chef passa et lui dit : « Jeune homme, vous lisez ! vous ne serez jamais libraire. » Après deux ans de cette tentative infructueuse, Millevoye, en effet, y renonça. Il avait d’ailleurs amassé en portefeuille un certain nombre de pièces légères ; il avait composé son Passage du mont Saint-Bernard, une Satire sur les Romans nouveaux, couronnée par l’Académie de Lyon, et sa pièce des Plaisirs du Poète. Il publia ces essais de 1801 à 1804[1], et ne vécut plus que de la vie littéraire, et aussi de la vie du monde, tout entier au moment et au Caprice.

Parmi les nombreux essais que Millevoye a faits en presque tous les genres de poésie, il en est beaucoup que nous n’examinerons pas ; ce sera assez les juger. On y trouverait de la facilité toujours, mais trop d’indécision et de pâleur. Talent naturel et vrai, mais trop docile, il ne s’est pas assez connu lui-même, et a sans cesse accordé aux conseils une grande part dans ses choix. Ayant commencé très-jeune à produire et à publier, dans un temps où le peu de concurrence des talents et un goût vif des Lettres renaissantes mettaient l’encouragement à la mode, il a subi l’inconvénient d’achever et de doubler, en quelque sorte, sa rhétorique, en public, dans les concours d’académie. Il y a nombre de ces prix ou de ces

  1. Dans la Décade de l’an XII (4e trimestre, page 561, n° du 30 fructidor), on lit sur les Plaisirs du Poëte et autres premiers opuscules de Millevoye un article de M. Auger, judicieux et bienveillant, quoique sec ; la mesure du jeune poëte y est bien prise.