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ce poëte jeune qui ne devait pas vivre, et qui meurt, à trente ans plus ou moins, en chacun de nous[1].

Sa vie, aussi simple que courte, n’offre qu’un petit nombre de traits sur lesquels nous courrons. Charles-Hubert Millevoye est né à Abbeville le 24 décembre 1782, et par conséquent, s’il vivait aujourd’hui, il aurait à peu près le même âge (un peu moins) que Béranger. Il reçut tous les soins affectueux et l’éducation de famille ; son père était négociant ; un oncle, frère de son père, qui logeait sous le même toit, donna à l’enfant les premières notions de latin, et on l’envoya bientôt suivre les classes au collège. Il en profita jusqu’en 94, où ce collège fut supprimé. Deux de ses maîtres, qui s’étaient fort attachés à lui, bons humanistes et hellénistes, lui continuèrent leurs soins. L’enfant avait annoncé sa vocation précoce par de petites fables en vers français, et les dignes professeurs, émerveillés, favorisèrent cette disposition plutôt que de la combattre. Le jeune Millevoye perdit son père à l’âge de treize ans ; dix ans après, il célébrait cette douleur, encore sensible, dans l’élégie qui a pour titre l’Anniversaire. Il reporta sur sa mère une plus vive tendresse. Des sentiments de famille naturels et purs, une facilité de talent non combattue, bientôt l’émotion rapide, mobile, du plaisir et de la rêverie, c’est là le fonds entier de sa jeunesse, ce sont les caractères qui, en simples et légers délinéaments, pour ainsi dire, vont passer de l’âme de Millevoye dans sa poésie.

Il vint à Paris âgé de quinze ou seize ans, et suivit en 1798 le cours de belles-lettres professé à l’École centrale des Quatre-Nations par M. Dumas. Il trouva en ce nouveau maître, qui succédait cette année-là à M. de Fontanes, un élève affaibli, mais encore suffisant, de la même école littéraire, un homme instruit et doux, qui s’attacha à lui et l’entoura de conseils, sinon bien vifs et bien neufs, du moins graves et sains. M. Dumas, dans une notice qu’il a écrite sur Millevoye,

  1. M. Alfred de Musset m’a adressé, à l’occasion de ce passage, de très-aimables vers auxquels j’ai répondu. (Voir dans les Pensées d’Août.)