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en 1606, parvint à l’âge où la poésie et le théâtre durent commencer à l’occuper, vers 1624, à voir les choses en gros, d’un peu loin, et comme il les vit d’abord du fond de sa province, trois grands noms de poëtes, aujourd’hui fort inégalement célèbres, lui apparurent avant tous les autres, savoir : Ronsard, Malherbe et Théophile. Ronsard, mort depuis longtemps, mais encore en possession d’une renommée immense, et représentant la poésie du siècle expiré ; Malherbe vivant, mais déjà vieux, ouvrant la poésie du nouveau siècle, et placé à côté de Ronsard par ceux qui ne regardaient pas de si près aux détails des querelles littéraires ; Théophile enfin, jeune, aventureux, ardent, et par l’éclat de ses débuts semblant promettre d’égaler ses devanciers dans un prochain avenir. Quant au théâtre, il était occupé depuis vingt ans par un seul homme, Alexandre Hardy, auteur de troupe, qui ne signait même pas ses pièces sur l’affiche, tant il était notoirement le poëte dramatique par excellence. Sa dictature allait cesser, il est vrai ; Théophile, par sa tragédie de Pyrame et Thisbé, y avait déjà porté coup ; Mairet, Rotrou, Scudery, étaient près d’arriver à la scène. Mais toutes ces réputations à peine naissantes, qui faisaient l’entretien précieux des ruelles à la mode, cette foule de beaux esprits de second et de troisième ordre, qui fourmillaient autour de Malherbe, au-dessous de Maynard et de Racan, étaient perdus pour le jeune Corneille, qui vivait à Rouen, et de là n’entendait que les grands éclats de la rumeur publique. Ronsard, Malherbe, Théophile et Hardy, composaient donc à peu près sa littérature moderne. Élevé d’ailleurs au collége des jésuites, il y avait puisé une connaissance suffisante de l’antiquité ; mais les études du barreau, auquel on le destinait, et qui le menèrent jusqu’à sa vingt et unième année, en 1627, durent retarder le développement de ses goûts poétiques. Pourtant il devint amoureux ; et, sans admettre ici l’anecdote invraisemblable racontée par Fontenelle, et surtout sa conclusion spirituellement ridicule, que c’est à cet amour qu’on doit le grand Corneille, il est certain,