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    Il paroît circonspect ; mais attendons la fin.
    Tout faiseur de journaux doit tribut au malin.
    Le Clerc prétend du sien tirer d’autres usages ;
    Il est savant, exact, il voit clair aux ouvrages ;
    Bayle aussi. Je fais cas de l’une et l’autre main :
    Tous deux ont un bon style et le langage sain.
    Le jugement en gros sur ces deux personnages,
    Le JuEt ce fut de moi qu’il partit,
    Le JuC’est que l’un cherche à plaire aux sages,
    Le JuL’autre veut plaire aux gens d’esprit.
    Il leur plaît. Vous aurez peut-être peine à croire
    Qu’on ait dans un repas de tels discours tenus :
    Le JuOn tint ces discours ; on fit plus,
    Le JuOn fut au sermon après boire…

    Et cet autre jugement aussi, de Voltaire, n’est pas indifférent à rappeler ; Voltaire a très-bien parlé de Bayle en maint endroit, mais jamais mieux qu’à la fin d’une lettre au Père Tournemine (1735) : « M. Newton, dit-il, a été aussi vertueux qu’il a été grand philosophe : tels sont pour la plupart ceux qui sont bien pénétrés de l’amour des sciences, qui n’en font point un indigne métier, et qui ne les font point servir aux misérables fureurs de l’esprit de parti. Tel a été le docteur Clarke ; tel était le fameux archevèque Tillotson ; tel était le grand Galilée ; tel notre Descartes ; tel a été Bayle, cet esprit si étendu, si sage et si pénétrant, dont les livres, tout diffus qu’ils peuvent être, seront à jamais la bibliothèque des nations. Ses moeurs n’étaient pas moins respectables que son génie. Le désintéressement et l’amour de la paix comme de la vérité étaient son caractère ; c’était une âme divine. »