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bonne, qui a composé en françois les Vies de quatre Pères de l’Église grecque, vient de publier celle de saint Ambroise, l’un des Pères de l’Église latine. M. Ferrier, bon poëte françois, vient de faire imprimer les Préceptes galants : c’est une espèce de traité semblable à l’Art d’aimer d’Ovide. » Et quelques lignes plus bas : « On fait beaucoup de cas de la Princesse de Clèves. Vous avez ouï parler sans doute de deux décrets du pape, etc. » Plus ou moins de religion qu’il n’en avait aurait altéré la candeur et l’expansion critique de Bayle.

Si nous osions nous égayer tant soit peu à quelqu’un de ces badinages chez lui si fréquents, nous pourrions soutenir que la faculté critique de Bayle a été merveilleusement servie par son manque de désir amoureux et de passion galante[1]. Il est fâcheux sans doute qu’il se soit laissé aller à quelque licence de propos et de citations. L’obscénité de Bayle (on l’a dit avec raison) n’est que celle même des savants qui s’émancipent sans bien savoir, et ne gardent pas de nuances. Certains dévots n’en gardent pas non plus dans l’expression, dès qu’il s’agit de ces choses, et l’on a remarqué qu’ils aiment à salir la volupté, pour en dégoûter sans doute. Bayle n’a pas d’intention si profonde. Il n’aime guère la femme ; il ne songe pas à se marier : « Je ne sais si un certain fonds de paresse et un trop grand amour du repos et d’une vie exempte de soins, un goût excessif pour l’étude et une humeur un peu portée au chagrin, ne me feront toujours préférer l’état de garçon à celui d’homme marié. » Il n’éprouve pas même au sujet de la femme et contre elle cette espèce d’émo-

  1. Ce qu’on a dit sur les amours de Bayle et de madame Jurieu n’est pas une objection à ce qu’on remarque ici. En supposant (ce qui me paraît fort possible) que l’abbé d’Olivet ait été bien informé, et que son récit, consigné dans les Mémoires de D’Artigny, mérite quelque attention, il en résulterait que Bayle, âgé de vingt-huit ans alors, dérogea un moment, auprès de la femme avenante du ministre, aux habitudes de son humeur et au régime de toute sa vie. L’occasion aidant, il n’était pas besoin de grande passion pour cela.