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Firmabo super te oculos meos et instruam te in via hac qua gradieris. Amen. »

C’est sous le coup menaçant de cette douleur, et à l’extrémité de toute espérance, que dut être écrite la prière suivante, où l’un des versets précédents se retrouve :

« Mon Dieu, je vous remercie de m’avoir créé, racheté, et éclairé de votre divine lumière en me faisant naître dans le sein de l’Église catholique. Je vous remercie de m’avoir rappelé à vous après mes égarements ; je vous remercie de me les avoir pardonnés. Je sens que vous voulez que je ne vive que pour vous, que tous mes moments vous soient consacrés. M’ôterez-vous tout bonheur sur cette terre ?  Vous en êtes le maître, ô mon Dieu ! mes crimes m’ont mérité ce châtiment. Mais peut-être écouterez-vous encore la voix de vos miséricordes : Multa flagella peccatoris, sperantem autem, etc. J’espère en vous, ô mon Dieu ! mais je serai soumis à votre arrêt, quel qu’il soit. J’eusse préféré la mort ; mais je ne méritais pas le ciel, et vous n’avez pas voulu me plonger dans l’enfer. Daignez me secourir pour qu’une vie passée dans la douleur me mérite une bonne mort dont je me suis rendu indigne. Ô Seigneur, Dieu de miséricorde, daignez me réunir dans le ciel à ce que vous m’aviez permis d’aimer sur la terre ! »

Ce serait mentir à la mémoire de M. Ampère que d’omettre de telles pièces quand on les a sous les yeux, de même que c’eût été mentir à la mémoire de Pascal que de supprimer son petit parchemin. M. de Condorcet lui-même ne l’oserait pas.

Sur la recommandation de M. Delambre, M. Lacuée de Cessac, président de la section de la guerre, nomma en vendémiaire an XIII (1804) M. Ampère répétiteur d’analyse à l’École polytechnique. Celui-ci quitta Lyon qui ne lui offrait plus que des souvenirs déchirants, et arriva dans la capitale, où pour lui une nouvelle vie commence. De même qu’en 93, après la mort de son père, il n’était parvenu à sortir de la stupeur où il était tombé que par une étude toute fraîche, la botanique et la poésie latine, dont le double attrait l’avait ranimé, de même, après la mort de sa