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sortait plus de sa mémoire. Il savait donc et il sut toujours, entre autres choses, tout ce que l’Encyclopédie contenait, y compris le blason. Ainsi son jeune esprit préludait à cette universalité de connaissances qu’il embrassa jusqu’à la fin. S’il débuta par savoir au complet l’Encyclopédie du xviiie siècle, il resta encyclopédique toute sa vie. Nous le verrons, en 1804, combiner une refonte générale des connaissances humaines ; et ses derniers travaux sont un plan d’encyclopédie nouvelle.

Il apprit tout de lui-même, avons-nous dit, et sa pensée y gagna en vigueur et en originalité ; il apprit tout à son heure et à sa fantaisie, et il n’y prit aucune habitude de discipline.

Fit-il des vers dès ce temps-là, ou n’est-ce qu’un peu plus tard ?  Quoi qu’il en soit, les mathématiques, jusqu’en 93, l’occupèrent surtout. A dix-huit ans, il étudiait la Mécanique analytique de Lagrange, dont il avait refait presque tous les calculs ; et il a répété souvent qu’il savait alors autant de mathématiques qu’il en a jamais su.

La Révolution de 89, en éclatant, avait retenti jusqu’à l’âme du studieux mais impétueux jeune homme, et il en avait accepté l’augure avec transport. Il y avait, se plaisait-il à dire quelquefois, trois événements qui avaient eu un grand empire, un empire décisif sur sa vie : l’un était la lecture de l’Éloge de Descartes par Thomas, lecture à laquelle il devait son premier sentiment d’enthousiasme pour les sciences physiques et philosophiques. Le second événement était sa première communion qui détermina en lui le sentiment religieux et catholique, parfois obscurci depuis, mais ineffaçable. Enfin il comptait pour le troisième de ces événements décisifs la prise de la Bastille, qui avait développé et exalté d’abord son sentiment libéral. Ce sentiment, bien modifié ensuite, et par son premier mariage dans une famille royaliste et dévote, et plus tard par ses retours sincères à la soumission religieuse et ses ménagements forcés sous la Restauration, s’est pourtant maintenu chez lui, on peut l’affirmer, dans son principe et