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Et comme t’ayant vu dans ce cadre qui t’aime !

   Fier de suivre à mon tour des hôtes dont le nom
N’a rien qui cède en gloire au nom de Lamoignon,
J’ai visité les lieux, et la tour, et l’allée
Où des fâcheux ta muse épiait la volée ;
Le berceau plus couvert qui recueillait tes pas ;
La fontaine surtout, chère au vallon d’en bas,
La fontaine en tes vers Polycrène épanchée,
Que le vieux villageois nomme aussi la Rachée[1],
Mais que plus volontiers, pour ennoblir son eau,
Chacun salue encor Fontaine de Boileau.
Par un des beaux matins des premiers jours d’automne,
Le long de ces coteaux qu’un bois léger couronne,
Nous allions, repassant par ton même chemin
Et le reconnaissant, ton Épître à la main.
Moi, comme un converti, plus dévot à ta gloire.
Épris du flot sacré, je me disais d’y boire :
Mais, hélas ! ce jour-là, les simples gens du lieu
Avaient fait un lavoir de la source du dieu,
Et de femmes, d’enfants, tout un cercle à la ronde
Occupaient la naïade et m’en altéraient l’onde.
Mes guides cependant, d’une commune voix,
Regrettaient le bouquet des ormes d’autrefois,
Hautes cimes longtemps à l’entour respectées,
Qu’un dernier possesseur à terre avait jetées.
Malheur à qui, docile au cupide intérêt,
Déshonore le front d’une antique forêt,
Ou dépouille à plaisir la colline prochaine !
Trois fois malheur, si c’est au bord d’une fontaine !

   Était-ce donc présage, ô noble Despréaux,

  1. Une rachée : on appelle ainsi les rejetons nés de la racine après qu’on a coupé le tronc. Les ormes qui ombrageaient autrefois la fontaine avaient probablement été coupés pour repousser en rachée : de là le nom.