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M. JOUFFROY


Il y a une génération qui, née tout à la fin du dernier siècle, encore enfant ou trop jeune sous l’Empire, s’est émancipée et a pris la robe virile au milieu des orages de 1814 et 1815. Cette génération dont l’âge actuel est environ quarante ans, et dont la presque totalité lutta, sous la Restauration, contre l’ancien régime politique et religieux, occupe aujourd’hui les affaires, les Chambres, les Académies, les sommités du pouvoir ou de la science. La Révolution de 1830, à laquelle cette génération avait tant poussé par sa lutte des quinze années, s’est faite en grande partie pour elle, et a été le signal de son avénement. Le gros de la génération dont il s’agit constituait, par un mélange d’idées voltairiennes, bonapartistes et semi-républicaines, ce qu’on appelait le libéralisme. Mais il y avait une élite qui, sortant de ce niveau de bon sens, de préjugés et de passions, s’inquiétait du fond des choses et du terme, aspirait à fonder, à achever avec quelque élément nouveau ce que nos pères n’avaient pu qu’entreprendre avec l’inexpérience des commencements. Dans l’appréciation philosophique de l’homme, dans la vue des temps et de l’histoire, cette jeune élite éclairée se croyait, non sans apparence de raison, supérieure à ses adversaires d’abord, et aussi à ses pères qui avaient défailli ou s’étaient rétrécis et aigris à la tâche. Le plus philosophe et le plus réfléchi de tous, dans une de ces pages merveilleuses qui s’échappent