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vit, on a trouvé l’homme. Il y a plaisir en tout temps à ces sortes d’études secrètes, et il y aura toujours place pour les productions qu’un sentiment vif et pur en saura tirer. Toujours, nous le croyons, le goût et l’art donneront de l’à-propos et quelque durée aux œuvres les plus courtes, et les plus individuelles, si, en exprimant une portion même restreinte de la nature et de la vie, elles sont marquées de ce sceau unique de diamant, dont l’empreinte se reconnaît tout d’abord, qui se transmet inaltérable et imperfectible à travers les siècles, et qu’on essayerait vainement d’expliquer ou de contrefaire. Les révolutions passent sur les peuples, et font tomber les rois comme des têtes de pavots ; les sciences s’agrandissent et accumulent ; les philosophies s’épuisent ; et cependant la moindre perle, autrefois éclose du cerveau de l’homme, si le temps et les barbares ne l’ont pas perdue en chemin, brille encore aussi pure aujourd’hui qu’à l’heure de sa naissance. On peut découvrir demain toute l’Égypte et toute l’Inde, lire au cœur des religions antiques, en tenter de nouvelles, l’ode d’Horace à Lycoris n’en sera, ni plus ni moins, une de ces perles dont nous parlons. La science, les philosophies, les religions sont là, à côté, avec leurs profondeurs et leurs gouffres souvent insondables ; qu’importe ?  elle, la perle limpide et une fois née, se voit fixe au haut de son rocher, sur le rivage, dominant cet océan qui remue et varie sans cesse ; plus humide, plus cristalline, plus radieuse au soleil après chaque tempête. Ceci ne veut pas dire au moins que la perle et l’océan d’où elle est sortie un jour ne soient pas liés par beaucoup de rapports profonds et mystérieux, ou, en d’autres termes, que l’art soit du tout indépendant de la philosophie, de la science et des révolutions d’alentour. Oh !pour cela, non ; chaque océan donne ses perles, chaque climat les mûrit diversement et les colore ; les coquillages du golfe Persique ne sont pas ceux de l’Islande. Seulement l’art, dans la force de génération qui lui est propre, a quelque chose de fixe, d’accompli, de définitif, qui crée à