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« 19 juin. — Hélène se tut, mais ses joues se couvrirent de rougeur ; elle lança sur Ghérard un regard plein de dédain, tandis que ses lèvres se contractaient, agitées par la colère. Elle retomba sur le divan, à demi assise, à demi couchée, appuyant sa tête sur une main, tandis que l’autre était fort occupée à ramener les plis de sa robe. — Ghérard jeta les yeux sur elle ; à l’instant toute sa colère se changea en confusion. Il vint à quelques pas d’elle, s’appuyant sur la cheminée, ému et inquiet. Après un moment de silence : « Hélène, lui dit-il d’une voix troublée, je vous ai affligée, et pourtant je vous jure… » — « Moi, monsieur ?  non, vous ne m’avez point affligée ; vos offenses n’ont pas ce pouvoir sur moi. » — « Hélène, eh bien ! oui, j’ai eu tort de parler ainsi, je l’avoue ; mais pardonnez-moi… » — « Vous pardonner !… Je n’ai pour vous ni ressentiment ni pardon, et j’ai déjà oublié vos paroles. »

« Ghérard s’approcha vivement d’elle : — « Hélène, lui dit-il en cherchant à s’emparer de sa main : pour un mot dont je me repens… » — « Laissez-moi, lui dit-elle en retirant sa main : faudra-t-il que je m’enfuie, et ne vous suffit-il pas d’une injure ?  »

« Ghérard s’en revint tristement à la cheminée, cachant son front dans ses mains, puis tout à coup se retourna, les yeux humides de larmes ; il se jeta à ses pieds, et ses mains s’avançaient vers elle, de sorte qu’il la serrait presque dans ses bras.

« Oui, s’écria-t-il, je vous ai offensée, je le sais bien ; oui, je suis rude, grossier ; mais je vous aime, Hélène ; oh ! cela, je vous défie d’en douter. Et si vous n’avez pas pitié de moi, vous qui êtes si bonne, Hélène, qui réconciliez ceux qui se haïssent… » Et voyant qu’elle se défendait faiblement : « Dites que vous me pardonnez ! Faites-moi des reproches, punissez-moi, châtiez-moi, j’ai tout mérité. Oui, vous devez me châtier comme un enfant grossier. Hélène, dit-il en osant poser son visage sur ses genoux, si vous me