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et il se portait en secret un défi, il se faisait une gageure d’aimer. Il vit beaucoup, à cette époque, une femme connue par ses ouvrages, par l’agrément de son commerce et sa beauté[1], s’imaginant qu’il en était épris, et tâchant, à force de soins, de le lui faire comprendre. Mais, soit qu’il s’exprimât trop obscurément, soit que la préoccupation de cette femme distinguée fût ailleurs, elle ne crut jamais recevoir dans Farcy un amant malheureux. Pourtant il l’était, quoique moins profondément qu’il n’eût fallu pour que cela fût une passion. Voici quelques vers commencés que nous trouvons dans ses papiers :

Thérèse, que les Dieux firent en vain si belle,
Vous que vos seuls dédains ont su trouver fidèle,
Dont l’esprit s’éblouit à ses seules lueurs,
Qui des combats du cœur n’aimez que la victoire,
Et qui rêvez d’amour comme on rêve de gloire,
Et quiL’œil fier et non voilé de pleurs ;

Vous qu’en secret jamais un nom ne vient distraire,
Qui n’aimez qu’à compter, comme une reine altière,
La foule des vassaux s’empressant sur vos pas ;
Vous à qui leurs cent voix sont douces à comprendre,
Mais qui n’eûtes jamais une âme pour entendre
Et quiDes vœux qu’on murmure plus bas ;

Thérèse, pour longtemps adieu !…

La suite manque, mais l’idée de la pièce avait d’abord été crayonnée en prose. Les vers y auraient peu ajouté, je pense, pour l’éclat et le mouvement ; ils auraient retranché peut-être à la fermeté et à la concision.

« Thérèse, que la nature fit belle en vain, plus ravie de dominer que d’aimer ; pour qui la beauté n’est qu’une puissance, comme le courage et le génie ;

  1. Le respect nous empêche de la nommer ; mais Béranger l’a chantée, et tous ses amis la reconnaîtront ici sous le nom d’Hortense.