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de philosophie dans l’institution de M. Morin, à Fontenay-aux-Roses ; il s’y rendait deux fois par semaine, et le reste du temps il vivait à Paris, jouissant de ses anciens amis et des nouveaux qu’il s’était faits. Le monde politique et littéraire était alors divisé en partis, en écoles, en salons, en coteries. Farcy regarda tout et n’épousa rien inconsidérément. Dans les arts et la poésie, il recherchait le beau, le passionné, le sincère, et faisait la plus grande part à ce qui venait de l’âme et à ce qui allait à l’âme. En politique, il adoptait les idées généreuses, propices à la cause des peuples, et embrassait avec foi les conséquences du dogme de la perfectibilité humaine. Quant aux individus célèbres, représentants des opinions qu’il partageait, auteurs des écrits dont il se nourrissait dans la solitude, il les aimait, il les révérait sans doute, mais il ne relevait d’aucun, et, homme comme eux, il savait se conserver en leur présence une liberté digne et ingénue, aussi éloignée de la révolte que de la flatterie. Parmi le petit nombre d’articles qu’il inséra vers cette époque au Globe, le morceau sur Benjamin Constant est bien propre à faire apprécier l’étendue de ses idées politiques et la mesure de son indépendance personnelle. Il n’y avait plus qu’un point secret sur lequel Farcy se sentait inexpérimenté encore, et faible, et presque enfant, c’était l’amour ; cet amour que, durant les tièdes nuits étoilées du tropique, il avait soupçonné devoir être si doux ; cet amour dont il n’avait guère eu en Italie que les délices sensuelles, et dont son âme, qui avait tout anticipé, regrettait amèrement la puissance tarie et les jeunes trésors. Il écrivait dans une note :

« Je rends grâces à Dieu ;
« De ce qu’il m’a fait homme et non point femme ;
« De ce qu’il m’a fait Français ;
« De ce qu’il m’a fait plutôt spirituel et spiritualiste que le

contraire, plutôt bon que méchant, plutôt fort que faible de caractère.