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croquis, l’autre à ses rêves, et ils se retrouvaient le soir. Farcy restait une bonne partie du jour dans un bois d’orangers, relisant Pétrarque, André Chénier, Byron ; songeant à la beauté de quelque jeune fille qu’il avait vue chez son hôtesse ; se redisant, dans une position assez semblable, quelqu’une de ces strophes chéries, qui réalisent à la fois l’idéal comme poésie mélodieuse et comme souvenir de bonheur :

Combien de fois, près du rivage
Où Nisida dort sur les mers,
La beauté crédule ou volage
Accourut à nos doux concerts !
Combien de fois la barque errante
Berça sur l’onde transparente
Deux couples par l’amour conduits,
Tandis qu’une déesse amie
Jetait sur la vague endormie
Le voile parfumé des nuits !

En passant à Florence, Farcy avait vu Lamartine ; n’ayant pas de lettre d’introduction auprès de son illustre compatriote, il composa des vers et les lui adressa ; il eut soin d’y joindre un petit billet qu’il fit le plus cavalier possible, comme il l’écrivit depuis à M. Viguier, de peur que le grand poëte ne crût voir arriver un rimeur bien pédant, bien humble et bien vain. L’accueil de Lamartine et son jugement favorable encouragèrent Farcy à continuer ses essais poétiques. Il composa donc plusieurs pièces de vers durant son séjour à Ischia ; il les envoyait en France à son excellent ami M. Viguier, qu’il avait eu pour maître à l’École normale, réclamant de lui un avis sincère, de bonnes et franches critiques, et, comme il disait, des critiques antiques avec le mot propre sans périphrase. Pour exprimer toute notre pensée, ces vers de Farcy nous semblent une haute preuve de talent, comme étant le produit d’une puissante et riche faculté très-fatiguée, et en quelque sorte épuisée avant la production : on y trouve peu