Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Du muet de Samos qu’admire Métaponte,
Dit : « Locriens perdus, n’avez-vous pas de honte ?
Des mœurs saintes jadis furent votre trésor.
Vos vierges, aujourd’hui riches de pourpre et d’or,
Ouvrent leur jeune bouche à des chants adultères.
Hélas ! qu’avez-vous fait des maximes austères
De ce berger sacré que Minerve autrefois
Daignait former en songe à vous donner des lois ?  »
Disant ces mots, il sort… Elle était interdite ;
Son œil noir s’est mouillé d’une larme subite ;
Nous l’avons consolée, et ses ris ingénus,
Ses chansons, sa gaieté, sont bientôt revenus.
Un jeune Thurien[1], aussi beau qu’elle est belle
(Son nom m’est inconnu), sortit presque avec elle :
Je crois qu’il la suivit et lui fit oublier
Le grave Pythagore et son grave écolier.

Parmi les ïambes inédits, j’en trouve un dont le début rappelle, pour la forme, celui de la gracieuse élégie ; c’est un brusque reproche que le poëte se suppose adressé par la bouche de ses adversaires, et auquel il répond soudain en l’interrompant :

« Sa langue est un fer chaud ; dans ses veines brûlées
Je veuxSerpentent des fleuves de fiel. »
J’ai douze ans, en secret, dans les doctes vallées,
Je veuxCueilli le poétique miel :

Je veux un jour ouvrir ma ruche tout entière ;
Je veuxDans tous mes vers on pourra voir
Si ma muse naquit haineuse et meurtrière.
Je veuxFrustré d’un amoureux espoir,

Archiloque aux fureurs du belliqueux ïambe
Je veuxImmole un beau-père menteur ;
Moi, ce n’est point au col d’un perfide Lycambe
Je veuxQue j’apprête un lacet vengeur.

  1. Thurii, colonie grecque fondée aux environs de Sybaris, dans le golfe de Tarente, par les Athéniens.