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D’Élysée à mon cœur la paix devient amère,
Et la terre à mes os ne sera plus légère.
Chaque fois qu’en ces lieux un air frais du matin
Vient caresser ta bouche et voler sur ton sein,
Pleure, pleure, c’est moi ; pleure, fille adorée ;
C’est mon âme qui fuit sa demeure sacrée,
Et sur ta bouche encore aime à se reposer.
Pleure, ouvre-lui tes bras et rends-lui son baiser.

Entre autres manières dont cela peut être placé, écrit Chénier, en voici une : Un voyageur, en passant sur un chemin, entend des pleurs et des gémissements. Il s’avance, il voit au bord d’un ruisseau une jeune femme échevelée, tout en pleurs, assise sur un tombeau, une main appuyée sur la pierre, l’autre sur ses yeux. Elle s’enfuit à l’approche du voyageur qui lit sur la tombe cette épitaphe. Alors il prend des fleurs et de jeunes rameaux, et les répand sur cette tombe en disant : Ô jeune infortunée… (quelque chose de tendre et d’antique) ; puis il remonte à cheval, et s’en va la tête penchée et mélancoliquement, il s’en va

Pensant à son épouse et craignant de mourir.

Ce pourrait être le voyageur qui conte lui-même à sa famille ce qu’il a vu le matin.

Mais c’est assez de fragments : donnons une pièce inédite entière, une perle retrouvée, la jeune Locrienne, vrai pendant de la jeune Tarentine. A son brusque début, on l’a pu prendre pour un fragment, et c’est ce qui l’aura fait négliger ; mais André aime ces entrées en matière imprévues, dramatiques ; c’est la jeune Locrienne qui achève de chanter :

« Fuis, ne me livre point. Pars avant son retour ;
Lève-toi ; pars, adieu ; qu’il n’entre, et que ta vue
Ne cause un grand malheur, et je serais perdue !
Tiens, regarde, adieu, pars : ne vois-tu pas le jour ?  »
— Nous aimions sa naïve et riante folie.
Quand soudain, se levant, un sage d’Italie,
Maigre, pâle, pensif, qui n’avait point parlé,
Pieds nus, la barbe noire, un sectateur zélé