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et les vents, frémissant autour d’elles, agitent sur leurs poitrines leurs tuniques élégantes. Il voulait imiter l’idylle de Théocrite dans laquelle la courtisane Eunica se raille des hommages d’un pâtre ; chez André, c’eût été une contre-partie probablement ; on aurait vu une fille des champs raillant un beau de la ville, et lui disant : Allez, vous préférez

Aux belles de nos champs vos belles citadines.

La troisième élégie du livre IV de Tibulle, dans laquelle le poète suppose Sulpice éplorée, s’adressant à son amant Cérinthe et le rappelant de la chasse, tentait aussi André et il en devait mettre une imitation dans la bouche d’une femme. Mais voici quelques projets plus esquissés sur lesquels nous l’entendrons lui-même :

« Il ne sera pas impossible de parler quelque part de ces mendiants charlatans qui demandaient pour la Mère des Dieux, et aussi de ceux qui, à Rhodes, mendiaient pour la corneille et pour l’hirondelle ; et traduire les deux jolies chansons qu’ils disaient en demandant cette aumône et qu’Athénée a conservées. »

Il était si en quête de ces gracieuses chansons, de ces noëls de l’antiquité, qu’il en allait chercher d’analogues jusque dans la poésie chinoise, à peine connue de son temps ; il regrette qu’un missionnaire habile n’ait pas traduit en entier le Chi-King, le livre des vers, ou du moins ce qui en reste. Deux pièces, citées dans le treizième volume de la grande Histoire de la Chine qui venait de paraître, l’avaient surtout charmé. Dans une ode sur l’amitié fraternelle, il relève les paroles suivantes : « Un frère pleure son frère avec des larmes véritables. Son cadavre fût-il suspendu sur un abîme à la pointe d’un rocher ou enfoncé dans l’eau infecte d’un gouffre, il lui procurera un tombeau. » —

    sûr de ne pas les avoir employés déjà : « Je crois, dit-il en un endroit, avoir déjà mis ce vers quelque part, mais je ne puis me souvenir où. »