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Donner un libre essor à ta langue naïve.
Plus de père aujourd’hui ! Le mensonge est puissant,
Il règne : dans ses mains luit un fer menaçant.
De la vérité sainte il déteste l’approche ;
Il craint que son regard ne lui fasse un reproche,
Que ses traits, sa candeur, sa voix, son souvenir,
Tout mensonge qu’il est, ne le fasse pâlir.
Mais la vérité seule est une, est éternelle ;
Le mensonge varie, et l’homme trop fidèle
Change avec lui : pour lui les humains sont constants,
Et roulent de mensonge en mensonge flottants…

Ici, il y a lacune ; le canevas en prose y supplée : « Mais quand le temps aura précipité dans l’abîme ce qui est aujourd’hui sur le faîte, et que plusieurs siècles se seront écoulés l’un sur l’autre dans l’oubli, avec tout l’attirail des préjugés qui appartiennent à chacun d’eux, pour faire place à des siècles nouveaux et à des erreurs nouvelles…

Le français ne sera dans ce monde nouveau
Qu’une écriture antique et non plus un langage ;
Oh ! si tu vis encore, alors peut-être un sage,
Près d’une lampe assis, dans l’étude plongé,
Te retrouvant poudreux, obscur, demi rongé,
Voudra creuser le sens de tes lignes pensantes :
Il verra si du moins tes feuilles innocentes
Méritaient ces rumeurs, ces tempêtes, ces cris
Qui vont sur toi, sans doute, éclater dans Paris ;…

alors, peut-être… on verra si… et si, en écrivant, j’ai connu d’autre passion

Que l’amour des humains et de la vérité ! »

Ce vers final, qui est toute la devise, un peu fastueuse, de la philosophie du xviiie siècle, exprime aussi l’entière inspiration de l’Hermès. En somme, on y découvre André sous un jour assez nouveau, ce me semble, et à un degré de passion philosophique et de prosélytisme sérieux auquel rien n’avait dû faire croire, de sa part, jusqu’ici. Mais j’ai hâte