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Ce second chant devait renfermer, du ton lugubre d’un Pline l’Ancien, le tableau des premières misères, des égarements et des anarchies de l’humanité commençante. Les déluges, qu’il s’était d’abord proposé de mettre dans le premier chant, auraient sans doute mieux trouvé leur cadre dans celui-ci :

« Peindre les différents déluges qui détruisirent tout… La mer Caspienne, lac Aral et mer Noire réunis… l’éruption par l’Hellespont… Les hommes se sauvèrent au sommet des montagnes :

Et velus inventa est in montibus anchora summis.
Et velus inventa est in montibus(Ovide, Mét., liv. XV.)

La ville d’Ancyre fut fondée sur une montagne où l’on trouva une ancre. » Il voulait peindre les autels de pierre, alors posés au bord de la mer, et qui se trouvent aujourd’hui au-dessus de son niveau, les membres des grands animaux primitifs errant au gré des ondes, et leurs os, déposés en amas immenses sur les côtes des continents. Il ne voyait dans les pagodes souterraines, d’après le voyageur Sonnerat, que les habitacles des Septentrionaux qui arrivaient dans le midi et fuyaient, sous terre, les fureurs du soleil. Il eût expliqué, par quelque chose d’analogue peut-être, la base impie de la religion des Éthiopiens et le vœu présumé de son fondateur :

Il croit (aveugle erreur !) que de l’ingratitude
Un peuple tout entier peut se faire une étude,
L’établir pour son culte, et de Dieux bienfaisants
Blasphémer de concert les augustes présents.

À ces époques de tâtonnements et de délires, avant la vraie civilisation trouvée, que de vies humaines en pure perte dé-

    l’atmosphère d’alors, et, pour ainsi dire, à travers Condorcet. — Dans les fragments de mémoires manuscrits de Chênedollé, qui avait beaucoup vécu avec des amis de notre poète, je trouve cette note isolée et sans autre explication : « André Chénier était athée avec délices. »