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dut au célèbre abbé de Tiron, son oncle, les premiers préceptes de versification, et, dès qu’il fut en âge, quelques bénéfices qui ne l’enrichirent pas. Puis il fut attaché en qualité de chapelain à l’ambassade de Rome, ne s’y amusa que médiocrement ; mais, comme Rabelais avait fait, il y attaqua de préférence les choses par le côté de la raillerie. A son retour, il reprit, plus que jamais, son train de vie qu’il n’avait guère interrompu en terre papale, et mourut de débauche avant quarante ans. Né d’un savant ingénieux et d’une Grecque brillante, André quitta très-jeune Byzance, sa patrie ; mais il y rêva souvent dans les délicieuses vallées du Languedoc, où il fut élevé ; et lorsque plus tard, entré au collège de Navarre, il apprit la plus belle des langues, il semblait, comme a dit M. Villemain, se souvenir des jeux de son enfance et des chants de sa mère. Sous-lieutenant dans Angoumois, puis attaché à l’ambassade de Londres, il regretta amèrement sa chère indépendance, et n’eut pas de repos qu’il ne l’eût reconquise. Après plusieurs voyages, retiré aux environs de Paris, il commençait une vie heureuse dans laquelle l’étude et l’amitié empiétaient de plus en plus sur les plaisirs, quand la Révolution éclata. Il s’y lança avec candeur, s’y arrêta à propos, y fit la part équitable au peuple et au prince, et mourut sur l’échafaud en citoyen, se frappant le front en poëte. L’excellent Regnier, né et grandi pendant les guerres civiles, s’était endormi en bon bourgeois et en joyeux compagnon au sein de l’ordre rétabli par Henri IV.

Prenant successivement les quatre ou cinq grandes idées auxquelles d’ordinaire puisent les poëtes, Dieu, la nature, le génie, l’art, l’amour, la vie proprement dite, nous verrons comme elles se sont révélées aux deux hommes que nous étudions en ce moment, et sous quelle face ils ont tenté de les reproduire. Et d’abord, à commencer par Dieu, ab Jove principium, nous trouvons, et avec regret, que cette magnifique et féconde idée est trop absente de leur poésie, et qu’elle la laisse déserte du côté du ciel. Chez eux, elle n’apparaît