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che et sans réserve. Si nous avions trouvé le nom de Jean-Baptiste sommeillant dans un demi-jour paisible, nous nous serions gardé d’y porter si rudement la main ; ses malheurs seuls nous eussent désarmé tout d’abord, et nous l’eussions laissé sans trouble à son rang, non loin de Piron, de Gresset et de tant d’autres, qui certes le valaient bien.

Juin 1829.

Cet article, dont le ton n’est pas celui des précédents ni des suivants, et dont l’auteur aujourd’hui désavoue entièrement l’amertume blessante, a été reproduit ici comme pamphlet propre à donner idée du paroxysme littéraire de 1829. Ajoutons seulement que, sans trop modifier le fond de notre jugement sur les odes, qui n’est guère après tout que celui qu’a porté Vauvenargues (Je ne sais si Rousseau a surpassé Horace et Pindare dans ses odes : s’il les a surpassés, j’en conclus que l’ode est un mauvais genre, etc., etc.), il nous semble injuste et dur, en y réfléchissant, de ne pas prendre en considération ces trente dernières années de sa vie, où Rousseau montra jusqu’au bout de la constance et une honorable fermeté à ne pas vouloir rentrer dans sa patrie par grâce, sans jugement et réhabilitation. Quels qu’aient été sa conduite secrète, ses nouveaux tracas à l’étranger, sa brouille avec le prince Eugène, etc., etc., il demeura digne à l’article du bannissement. Sa correspondance durant ce temps d’exil avec Rollin, Racine fils, Brossette, M. de Chauvelin et le baron de Breteuil, a des parties qui recommandent son goût et qui tendent à relever son caractère. Quelques-uns de ses vers religieux (en les supposant écrits depuis cette date fatale) semblent même s’inspirer du sentiment énergique qu’il a de sa propre innocence : « Mais de ces langues diffamantes Dieu saura venger l’innocent, etc., » et plusieurs semblables endroits. Il est fâcheux que, non content de protester pour lui, il ait persisté à incriminer les autres, comme Rollin le lui fit sentir un jour (voir l’Éloge de Rollin par de Boze). À le juger impartialement, on conçoit que l’abbé d’Olivet et d’autres contemporains de mérite, sous l’influence et l’illusion de l’amitié, aient pu dire, en parlant de lui, l’illustre malheureux. On doit désirer (sans toutefois en être bien certain) qu’ils aient plus raison que Lenglet-Dufresnoy dans ses Pièces curieuses sur Rousseau. – Contradiction des jugements humains, même chez les plus compétents ! la première fois que j’eus l’honneur d’être présenté à M. de Chateaubriand, il me reprit tout d’abord sur cet article ; la première fois que j’eus l’honneur de voir M. Royer-Collard, tout d’abord il m’en félicita.