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JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU


Louis XIV vieillissait au milieu de toutes sortes de disgrâces et survivait à ce qu’on a bien voulu appeler son siècle. Les grands écrivains comme les grands généraux avaient presque tous disparu. On perdait des batailles en Flandre ; on donnait droit de préséance aux bâtards légitimés sur les ducs ; on applaudissait Campistron. C’est précisément alors, si l’on en croit un bruit assez généralement répandu depuis une centaine d’années, que commença de briller un poëte illustre, notre grand lyrique, comme disent encore quelques-uns. Né en 1669 ou 70 à Paris, d’un père cordonnier, qu’il renia plus tard, ou qu’au moins il aurait certainement troqué très-volontiers contre un autre, Jean-Baptiste Rousseau se sentit de bonne heure l’envie de sortir d’une si basse condition. On ne sait trop comment se passèrent ses premières années ; il s’est bien gardé d’en parler jamais, et il paraît s’être expressément interdit, comme une honte, tout souvenir d’enfance ; c’était mal imiter Horace pour le début. Rousseau se destinait pourtant à la poésie lyrique. Il connut Boileau, alors vieux et chagrin, et reçut de lui des conseils et des traditions. Il s’insinua auprès de grands seigneurs qui le protégèrent, le baron de Breteuil, Bonrepeaux, Chamillart, Tallard, et fut même attaché à ce dernier dans l’ambassade d’Angleterre. Il avait vu à Londres Saint-Évremond ; à Paris, il était des familiers du Temple, des habitués du café Laurens ; il s’essayait au