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physiques. Avec tous les dons qu’elle a reçus, si sur quelque point il pouvait y avoir défaut, l’intelligence supérieure intervient à temps et achève. Ainsi a-t-elle fait pour Bérénice. Un organe pur, encore vibrant et à la fois attendri, un naturel, une beauté continue de diction, une décence tout antique de pose, de gestes, de draperies, ce goût suprême et discret qui ne cesse d’accompagner certains fronts vraiment nés pour le diadème, ce sont là les traits charmants sous lesquels Bérénice nous est apparue ; et lorsqu’au dernier acte, pendant le grand discours de Titus, elle reste appuyée sur le bras du fauteuil, la tête comme abîmée de douleur, puis lorsqu’à la fin elle se relève lentement, au débat des deux princes, et prend, elle aussi, sa résolution magnanime, la majesté tragique se retrouve alors, se déclare autant qu’il sied et comme l’a entendu le poëte ; l’idéal de la situation est devant nous. – Beauvallet, on lui doit cette justice, a fort bien rendu le rôle de Titus ; de son organe accentué, trop accentué, on le sait, il a du moins marqué le coin essentiel du rôle, et maintenu le côté toujours présent de la dignité impériale. Quant à l’Antiochus, il est suffisant. – Ainsi, pour conclure, nous devons à mademoiselle Rachel non-seulement le plaisir, mais aussi l’honneur d’avoir goûté Bérénice, et il ne tient qu’à nous, grâce à elle, de nous donner pour plus amateurs de la belle et classique poésie en 1844 qu’on ne l’était en 1807. Nous en demandons bien pardon aux voltairiens de ce temps-là.

15 janvier 1844.

Pour compléter ces jugements sur Racine, on peut chercher ce que j’en ai dit plus tard dans une étude reprise à fond et développée, au tome V de Port-Royal (liv. VI, chap. x et xi). Il y a moins de désaccord qu’on ne le supposerait, entre les vues de la jeunesse et celles de la maturité.