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SUR LA REPRISE DE BÉRÉNICE

AU THÉÂTRE-FRANÇAIS
(Janvier 1844.)

Il y avait quelque hardiesse à revenir de nos jours à Bérénice, et cette hardiesse pourtant, à la bien prendre, était de celles qui doivent réussir. On peut considérer même que le moment présent et propice était tout trouvé. Le goût a des flux et des reflux bizarres ; ce sont des courants qu’il faut suivre et qu’il ne faut pas craindre d’épuiser. Après Moscow et la retraite de Russie, disait le spirituel M. de Stendhal, Iphigénie en Aulide devait sembler une bien moins bonne tragédie et un peu tiède ; il voulait dire qu’après les grandes scènes et les émotions terribles de nos révolutions et de nos guerres, il y avait urgence d’introduire sur le théâtre un peu plus de mouvement et d’intérêt présent. Mais aujourd’hui, après tant de bouleversements qui ont eu lieu sur la scène, et de telles tentatives aventureuses dont on paraît un peu lassé, Iphigénie redevient de mise, elle reprend à son tour toute sa vivacité et son coloris charmant. On en a tant vu, qu’un peu de langueur même repose, rafraîchit et fait l’effet plutôt de ranimer. Après les drames compliqués qui ont mis en œuvre tant de machines, l’extrême simplicité retrouve des chances de plaire ; après la Tour de Nesle et les Mystères de Paris (je les range parmi les drames à machines), c’est bien le moins qu’on essaie d’Ariane et de Bérénice.

Au milieu de l’ensemble si magnifique et si harmonieux