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254 PORTRAITS DE FEMMES.

M. Ménage : « Où trouvera-t-on des poètes comme M. Ménage, « qui fassent de bons vers latins, de bons vers grecs et de « bons vers italiens ? C’étoit un grand personnage, quoi que « ses envieux en aient voulu dire : il ne savoit pourtant « pas toutes les finesses de la poésie ; mais Mme de La Fayette « les entendoit bien. » La personne qui préférait à tout et sentait ainsi les poètes était à la fois celle-là même qui se montrait vraie par excellence, comme M. de La Rochefoucauld plus tard le lui dit, employant pour la première fois cette expression qui est restée : esprit poétique, esprit vrai, son mérite comme son charme est dans cette alliance. Avec cela, Mme de La Fayette avait grand soin (Segrais nous en avertit encore) de ne faire rien paraître de sa science ni de son latin, pour ne pas choquer les autres femmes. Ménage nous apprend qu’elle répondit un jour à M. Huyghens qui lui demandait ce que c’était qu’un ïambe, que c’était le contraire d’un trochée ; mais il fallait M. Huyghens et sa question, croyez-le bien, pour lui faire prendre ainsi la parole sur le trochée et sur l’ïambe (1).

Elle avait perdu son père à quinze ans. Sa mère, bonne personne, nous dit Retz, mais assez vaine et fort empressée, s’était remariée, peu après, au chevalier Renaud de Sévigné, si mêlé aux intrigues de la Fronde, et qui se montra des plus actifs à faire sauver le cardinal du château de Nantes. On lit dans les Mémoires du cardinal, à propos de cette prison de Nantes (1653) et des visites divertissantes qu’il y recevait : « Mme de La Vergne, qui avait épousé en secondes noces

(1) Tallemant des Réaux, ce rapporteur ordinaire des mauvaises paroles, en attribue une à Mlle de La Vergne sur son maître Ménage : « Cet importun Ménage va venir tantôt. » Il la rapporte au reste à bonne fin, et pour montrer que le pédant galant n’était pas du dernier bien avec ses belles élèves. On n’avait pas besoin de ce témoignage pour conclure que Mme de La La Fayette ne se faisait aucune illusion sur les défauts du pauvre Ménage, et je crains même qu’elle n’ait songé à lui, entre autres, et à toutes ses platitudes, le jour où elle dit « qu’il étoit rare de trouver de la probité parmi les savants. »