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sappointements à chaque pas après quarante-six ans comme au premier jour, sont tentés enfin de regarder le programme d’alors comme étant, pour une bonne moitié du moins, une grande et généreuse illusion de nos pères, comme un héritage promis, mais embrouillé, qui, reculant sans cesse, s’est déjà aux trois quarts dispersé dans l’intervalle. Entre cette démission décourageante et l’exagération des autres, il y a à se tenir. Sans doute, si la plupart des auteurs, des héros de la Révolution revenaient un moment parmi nous, s’ils considéraient ce qu’ils ont payé de leur sang, ils souriraient un peu de pitié, à moins que l’âge, comme nous l’avons vu de quelques-uns, n’eût refroidi leurs antiques exigences et tranquillisé leurs veines. On a pourtant acquis des résultats incontestables de bien-être sinon de gloire, l’égalité dans les mœurs sinon la grandeur dans les actions, les jouissances civiles sinon le caractère politique, la facilité à l’emploi des industries et des talents, sinon la consécration de ces talents à l’intérêt général d’une patrie. Pour nous, qui adoptons ces résultats et qui les goûtons, tout en sentant leur misère au prix de ce que nous avions rêvé, qui croyons à un perfectionnement social, bien lent toutefois et de plus en plus difficile grâce aux fautes de tous, nous continuons de nous tourner par instants vers ces horizons dont le vaste éclat enflammait notre aurore, vers ces noms que nous avons si souvent invoqués, espérant avoir à en reproduire les exemples et les vertus. Mais les temps sont autres, les devoirs ont changé, les applications directes qu’on prétendrait tirer seraient trompeuses. Du moins, dans cette fournaise ardente de notre première Révolution, à côté des ébauches informes ou abjectes, d’admirables statues sont sorties et brillent debout. Maintenons commerce avec ces personnages, demandons-leur des pensées qui élèvent, admirons-les pour ce qu’ils ont été d’héroïque et de désintéressé, comme ces grands caractères de Plutarque, qu’on étudie et qu’on admire encore en eux mêmes, indépendamment du succès des causai