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MADAME ROLAND[1]


I.

La Révolution française a changé plus d’une fois d’aspect pour ceux qui se disent ses fils et qui sont sortis d’elle. À mesure qu’on s’éloigne, les dissidences dans la manière de l’envisager augmentent parmi les générations, d’abord unanimes à la reconnaître. Les uns, les plus ardents, les plus avancés, à ce qu’ils affirment, la systématisent de plus en plus dans leurs appréciations ; ils vont à tout coordonner, hommes et choses, en d’orgueilleuses formules prétendues philosophiques et sociales, qui torturent, selon nous, la diversité des faits et qui leur imposent à toute force un sens sophistique, indépendant des misérables passions le plus souvent dominantes. Sous le couvert des doctrines générales dont ils sont épris, outrageusement pour la réalité des détails et les humbles notions de l’évidence, ils vont fabriquant un masque grandiose à des figures avant tout hideuses, à des monstruosités individuelles. Les autres, qui n’adoptent pas ces formules et qui, dans la voie démocratique ouverte en 89, avaient conçu des espérances plus modérées, plus réalisables, ce semble, voyant les difficultés, les échecs, les dé-

  1. Ce morceau a servi d’introduction à la publication des Lettres inédites de Mme Roland, chez Eugène Renduel (1835).