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BÉRANGER.

Béranger était l’orateur, le rédacteur habituel et le plus influent. Ces exercices, en éveillant son goût de style, en étendant ses notions d’histoire et de géographie, avaient en outre l’avantage d’appliquer de bonne heure ses facultés à la chose publique, de fiancer, en quelque sorte, son jeune cœur à la patrie. Mais, dans cette éducation à la romaine, on n’apprenait pas le latin ; ce qui fit que Béranger ne le sut pas.

À dix-sept ans, muni de ce premier fonds de connaissances et des bonnes instructions morales de sa tante, Béranger revint à Paris, auprès de son père, qui s’y trouvait pour le moment dans une position de fortune très-améliorée[1]. Entièrement émancipé désormais, grâce à la confiance ou à l’insouciance paternelle, ayant sous la main toutes les ressources de dépenses à l’âge des passions et dans une époque licencieuse, il se rend ce témoignage de n’en avoir jamais abusé. Vers dix-huit ans, pour la première fois, l’idée de vers, odes, chansons et comédies, se glissa dans sa tête : il est à croire que cela lui vint à l’occasion des pièces de théâtre auxquelles il assistait. La comédie fut son premier rêve. Il en avait même ébauché une, intitulée les Hermaphrodites, dans laquelle il raillait les hommes fats et efféminés, les femmes am-

  1. Le père de Béranger avait des opinions royalistes très-prononcées ; c’est le même qu’on trouverait compromis, sous le nom de Béranger-Mersix, dans la conspiration dite de l’an V (affaire de Brotier, La Villeurnoy, etc., etc.). Béranger, jeune, fut ainsi témoin de bien des intrigues du parti royaliste, et, quand il vit plus tard rentrer les Bourbons, il put dire : « Je les connais. »