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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

avec lesquels il vit, et dont les moindres considérations personnelles, les moindres susceptibilités sincères lui sont plus sacrées que la curiosité de tous. La postérité, elle, a moins d’embarras et se crée moins de soucis. Son accent est haut, son œil scrutateur, son indiscrétion inexorable et presque insolente. Le grand homme a rendu l’âme à peine, qu’elle arrive là, au chevet du mort, comme les gens de loi. Elle dépouille, elle verbalise, elle inventorie ; on vide les tiroirs ; les liasses des correspondances sortent de la poussière, les indications abondent, les témoignages ne font faute. Quelquefois un testament olographe, c’est-à-dire les mémoires du grand homme, écrits par lui-même, viennent couper court aux nombreuses versions qui déjà circulent. Tout cela veut dire qu’après la mort des grands hommes, des grands écrivains particulièrement, l’on sait et l’on débite sur leur compte une infinité de détails authentiques ou officieux, qu’eux vivants on garde pour soi ou que même on ignore. Rien donc ne saurait valoir ni devancer pour l’instruction de la postérité les lumières de ce dépouillement posthume, et telle n’a jamais été notre prétention, relativement aux contemporains dont nous anticipons l’histoire. Mais comme nous croyons aussi que, dans l’inventaire posthume, si les contemporains les plus immédiats et les mieux informés ne s’en mêlent promptement pour y mettre ordre, il s’introduit bien du faux qui s’enregistre et finit par s’accréditer, il nous semble qu’il y a lieu à l’avance, et sous les regards mêmes de l’objet, dans l’observation secrète et l’atmosphère intelligente de sa