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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

raconté les détails longtemps secrets et vraiment étranges qui amenèrent le nouvel abbé à une démission forcée ; il fut lui-même trop employé à la Cour dans cette affaire pour qu’on puisse douter des circonstances qu’il affirme et qu’il n’a aucun intérêt, ce semble, à surcharger[1]. Enfin, Rancé eut la satisfaction de voir l’abbaye remise en bonnes mains sous la conduite de Dom Jacques de La Cour (1698), et il ne pensa plus qu’à mourir. Il expira aux bras de son évêque (M. de Séez), le 27 octobre 1700. On fit courir dans le temps divers bruits contradictoires, et quelques personnes prétendaient qu’il avait redoublé de frayeur aux approches suprêmes : « S’il a eu, comme on vous l’a dit (écrivait Bossuet à la sœur Cornuau), de grandes frayeurs des redoutables jugements de Dieu, et qu’elles l’aient suivi jusqu’à la mort, tenez, ma fille, pour certain que la constance a surnagé, ou plutôt qu’elle a fait le fond de cet état. »

Peu de temps après cette mort, le même Bossuet, qu’on ne se lasse pas de citer et dont on n’a cesse de se couvrir en telle matière, posait ainsi les règles à suivre et traçait sa marche à l’historien d’alors, tel qu’il le concevait[2] : « Je dirai mon sentiment sur la

  1. M. de Chateaubriand, de son côté, ne s’est pas assez méfié des récits intéressés de ce Dom Gervaise, qui a cherché à se justifier en attaquant les autres, dans son Jugement critique des Vies de feu l’abbé de Rancé. Gervaise, en parlant si haut, ne s’attendait pas au coup de revers que lui gardait Saint-Simon.
  2. Lettre à M. de Saint-André, curé de Vareddes, 28 janvier 1701.