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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

drais rien dire qui eût l’air d’amoindrir M, de La Mennais ; l’éloquent et agréable auteur des Affaires de Rome sait trop bien la vie de Rancé pour ne pas s’en dire beaucoup plus à lui-même.

L’histoire de la Trappe, dans les années suivantes, serait celle des progrès insensibles, silencieux, et cachés ; le bruit qui en arrive au dehors en fait la moindre partie et souvent la moins digne d’être sue. L’austérité du fond commençait à devenir un attrait irrésistible pour quelques-uns ; ils y accouraient des monastères voisins comme à une ruche d’un miel plus céleste. Rancé pouvait se dire un ravisseur d’âmes, et il avait quelquefois à les disputer aux autres couvents qui les voulaient retenir. Ce sont là les grands événements, les conflits qui faisaient diversion à cette première simplicité du labeur. Vers 1672, la Trappe était arrivée à sa haute perfection, à sa pleine renommée monastique, et un monument original de plus s’ajoutait dans l’ombre à l’admirable splendeur qui éclaire ce moment de Louis XIV.

S’il était permis, sans rien profaner, de saisir l’ensemble et de tout mettre en compte dans le tableau, nous dirions que cette heure de 1672 fut sans doute la plus complète d’un règne si merveilleux. Jamais maturité plus brillante et plus féconde n’offrit plus d’œuvres diverses et de personnages considérables en présence. Le groupe des poètes n’avait rien perdu : Boileau célébrait le passage du Rhin ; Racine, au milieu de sa course, reprenait haleine par Bajazet. La Fontaine entremêlait à des fables nouvelles quelques contes assez