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CHATEAUBRIAND.

sonne humaine, pas plus à M. d’Aleth qu’à M. de Comminges, pas même à l’esprit de ces exemples réitérés qu’offrait Port-Royal depuis plus de vingt ans. Je me plais à le dire ici comme je ne manquerai pas de le répéter ailleurs[1], si le coup de la Grâce pure, de ce qu’on appelle de ce nom, est quelque part évident, c’est dans la pénitence présente ; sur ce front de Rancé la foudre d’en haut a parlé seule et par ses propres marques. Ainsi la réforme de la Trappe elle-même, bien qu’entamée en 1662 seulement, ne se modela sur aucune autre du siècle ; elle fut œuvre originale et ne se rattache par l’imitation qu’aux premiers temps de l’Ordre : de là sans doute la rudesse et quelques excès.

Dans la voie où il vient de faire les premiers pas, il ne paraît point que Rancé se soit retourné une seule fois en arrière. Décidé à devenir abbé régulier de commendataire qu’il était, bouchant ses oreilles aux clameurs et même aux conseils, il entre comme novice au monastère de Perseigne, de l’étroite observance de Cîteaux, le 13 juin 1663, et l’année suivante, le 13 juillet, il est béni abbé dans l’église de Saint-Martin à Séez. Le 14, il se rend à la Trappe, et le voilà franchissant d’un bond le seuil dans cette haute carrière où il n’a plus désormais qu’à courir et à guider. Il est âgé de trente-huit ans et demi, et Dieu lui accordera trente-six années de vie encore, l’espace des plus longs desseins. La pauvre abbaye avait tout à réparer. Déjà,

  1. Dans mon livre de Port-Royal où j’ai en effet traité à fond de Rancé.