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CHATEAUBRIAND.

non poëte, il étouffa plus aisément sa colombe, qui n’était que celle d’Anacréon.

À la suite de la dédicace à Richelieu se trouvent, dans l’Anacréon de Rancé, quelques petites pièces grecques anonymes à la louange de l’éditeur. Chardon de La Rochette, dans ses Mélanges de Critique et de Philologie[1], en cite une qui est piquante en effet, mise en regard de l’avenir : « Qu’est-ce que tu peux souhaiter, ô chantre Anacréon ? Est-ce donc Bathylle que tu aimes ? Est-ce que tu aimes Bacchus ? Est-ce que tu aimes Cythérée, ou bien les danses des vierges ? Mais voici ce jeune Armand, bien préférable à Bathylle, bien préférable à Bacchus, bien plus désirable que Cythérée, que Comus et que les vierges. Que si tu possèdes Armand, oh ! alors tu possèdes toutes choses. »

Les études les plus contraires se disputaient l’inquiète curiosité du jeune Rancé ; il s’adonna quelque temps à l’astrologie. La théologie pourtant n’était pas négligée ; il y réussit, il fit merveille au doctorat, il prêchait éloquemment. Sinon en politique, du moins en dissipations contradictoires, il semblait serrer de près la trace de Retz, son aîné de douze ans, et il fut aussi à sa manière un des roués de cette première régence, ne bougeant, dit Saint-Simon, de l’hôtel de Montbazon, ami de tous les personnages de la Fronde, et faisant volontiers de très-grandes parties de chasse avec M. de Beaufort, le chef des importants. Un biographe élégant, l’abbé de Marsollier, nous l’a peint avec une sorte de

  1. Tome I, page 149.