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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

textes. En causant avec lui (quand vous en aurez l’occasion), il vous sera facile de savoir ce qu’il pense à mon égard et quelles sont ses vraies idées. Si elles sont défavorables, je ne vous impose pas, mon ami, la corvée de me les dire, mais vous pouvez d’un mot m’engager à insister ou m’en empêcher. Je m’inquiète peu de ce qui est convenable selon le monde, mais maintenant je respecte beaucoup la dignité et la paix de ma retraite, et comme je crois que vous êtes bien de cet avis-là, je me fie à vous pour me bien conseiller.

« Nous parlons continuellement de vous et nous nous affligeons de ne pas vous voir. Je n’insiste pas, vous le savez, mais il m’est bien permis de vous regretter comme un absent. Musset a souvent envie d’aller vous voir et de vous tourmenter pour que vous veniez chez nous, mais je l’en empêche, quoique je fusse toute prête à y aller avec lui, si je ne craignais que ce fût inutile. Adieu, mon ami, nous vous aimons quand même. Je voudrais que vous fussiez aussi heureux que moi, vous le méritez bien mieux. Donnez-moi de vos nouvelles et parlez-moi de vous.

« Votre ami, George.
« Mercredi. »


« Mardi.

« (27 novembre 1833.) Non, mon ami, vos critiques ne m’ont pas fâchée contre vous, mais bien contre moi qui les mérite. Je vous remercie au contraire mille fois de votre obligeance et de votre bonté. J’en ferai bien mon profit, et je l’ai déjà fait pour le plus important ; j’ai retranché toute la partie champêtre, et j’ai abordé tout de suite la Cavalcanti : de cette manière, le conte se passe tout entier dans ce monde de fantaisie où je l’avais conduit maladroitement. Vous avez raison d’aimer mieux les choses complètement réelles : moi, j’aime mieux les fantastiques ; mais je sais que j’ai tort ; aussi n’en ferai-je que peu, de temps en temps et pour m’amuser. J’aurais bien fait, dans mes intérêts, de publier, après Lélia, un roman plus rapproché du genre de Walter Scott, mais cette Quintilia était avancée dans mon portefeuille, et le besoin d’argent ne m’a pas permis de l’y garder plus longtemps. La même raison m’empêche de changer la manière générale du conte ; pour cela, il faudrait le recommencer, et il n’en vaut d’ailleurs pas la peine. Si vous avez la bonté d’en rendre compte, comme je vous en prie, faites-en donc bon marché, comme vous