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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

dans le National, n’est-il pas vrai ? Je n’ai pas renoncé à espérer qu’un défenseur littéraire se lèverait enfin pour moi, non pour louer mon talent que j’abandonne à la plus sévère critique, mais pour écarter de mon livre les sottes et sales interprétations que l’on y donne. Vous seul pouvez eu toute liberté élever la voix pour moi. Rien ne s’opposera à ce que vous me rendiez ce service, n’est-ce pas ? Je me soumets non sans chagrin, mais du moins sans humeur à ne point vous voir ; mais je ne veux pas cesser de compter sur votre dévouement, comme vous comptez, j’espère, sur le mien. Vous m’aviez promis de m’écrire quelquefois. Parce que je ne suis plus en danger de désespoir et de mort, pensez-vous que votre souvenir me serait un bonheur superflu ? Donnez-moi au moins des nouvelles de votre santé, et dites-moi quelque chose de vos occupations. Moi, j’ai été malade, mais je suis bien. Et puis je suis heureuse, très-heureuse, mon ami. Chaque jour je m’attache davantage à lui ; chaque jour je vois s’effacer en lui les petites choses qui me faisaient souffrir ; chaque jour je vois luire et briller les belles choses que j’admirais. Et puis encore, par dessus tout, ce qu’il est, il est bon enfant, et son intimité m’est aussi douce que sa préférence m’a été précieuse[1]… Vous êtes heureux aussi, mon ami… Tant mieux. Après tout, voyez-vous, il n’y a que cela de bon sur la terre. Le reste ne vaut pas la peine qu’on se donne pour manger et dormir tous les jours.

« Tout à vous,
« George Sand. »


« (Septembre 1833.). J’ai bien tardé, mon ami, à vous remercier de votre bel et bon article. Je voulais vous en parler longuement et, dans l’intention de profiter de vos conseils, vous adresser quelques questions littéraires et philosophiques ; mais je n’en ai pas pu trouver le temps, et je ne l’ai pas encore. Mon cerveau est entre-

  1. Et dans une autre lettre précédente, du 25 août : « … Ici, bien loin d’être affligée et méconnue, je trouve une candeur, une loyauté, une tendresse qui m’enivrent. C’est un amour de jeune homme et une amitié de camarade. C’est quelque chose dont je n’avais pas l’idée, que je ne croyais rencontrer nulle part, et surtout là. Je l’ai niée cette affection, je l’ai repoussée, je l’ai refusée d’abord, et puis je me suis rendue, et je suis heureuse de l’avoir fait. Je m’y suis rendue par amitié plus que par amour, et l’amitié que je ne connaissais pas s’est révélée à moi sans aucune des douleurs que je croyais accepter. »